Dambulla c'est ici, dans la région des plaines centrales du Sri Lanka, où sont regroupés les cités perdues et sites sacrés, royaume des anciennes dynasties cinghalaises. Je pose mon sac à dos ici quelques jours pour visiter le triangle culturel regroupant les impressionnantes cités anciennes.
Dambulla au premier coup d'oeil c'est un temple kitsch avec un Bouddha géant de 30m de haut, et une stupa, tous deux dorés, le tout forcément visible de loin. On découvre ensuite ce rocher qu'on a envie d'escalader, qui heberge ses fameux temples troglodytiques.
Dambulla c'est aussi un marché de gros pour les fruits et légumes, ce qui anime la vie nocturne.
Le rocher sacré.
LE JEU DE RÔLE TOURISTIQUE
Après 2 heures de bus depuis Kandy je retrouve l'authenticité des Sri Lankais, celle que j'avais perdue de vue depuis une semaine. Selon le contact du 1er tuk-tuk rencontré, on peut être fixé sur l'intensité du business touristique du lieu.
Après 2 heures de bus depuis Kandy je retrouve l'authenticité des Sri Lankais, celle que j'avais perdue de vue depuis une semaine. Selon le contact du 1er tuk-tuk rencontré, on peut être fixé sur l'intensité du business touristique du lieu.
A Kandy le tuk-tuk est à l'affut du client, les "tuk-tuk maham ?" sont plus que nombreux, et les touristes ne prennent donc plus la peine de répondre. On ressent bien le petit rapport de force local / touriste, comme dans tout pays en développement mais ici à moindre mesure (rien à voir avec l'Inde), mais lorsqu'on voyage seul cela peut se faire parfois plus oppressant.
Attention ce que je vais raconter est une vulgaire généralité ! Et ma vision personnelle.
Le touriste est souvent pressé par de trop courtes vacances, et n'a donc généralement pas le temps de vraiment s'intéresser aux gens, d'être curieux de leur culture et de qui ils sont. Son temps est compté et comme il est aussi parfois harcelé, il va donc droit à l'essentiel : au prix. Il sait qu'il paye plus cher que les locaux et ne trouve pas cela correct, il en veut donc pour son argent, exigeant et parfois agacé il passe donc souvent pour impoli. La négociation n'est pas dans la culture europénne, on va donc se sentir arnaqué et pris pour un idiot, donc non respecté.
Grossièrement le touriste est surtout vu comme un riche individualiste capricieux.
Le commerçant local lui a besoin de gagner sa croûte, et tout le monde n'a pas le même talent pour la subtilité, l'accueil et l'empathie. Les plus oppressants sont donc ceux qui sont le plus dans le besoin car le touriste n'apprécie guère et fuit avec indifférence. Il observe des comportements ėtranges qu'il ne comprend pas, et le contact avec le touriste méfiant ne donne pas forcément envie de faire d'efforts sur le prix. Les femmes blanches lui renvoient une image très libèrée, qui génère envie (dénudées et riches) mais elles sont aussi perçues comme impures. Curieux il va souvent demander aux femmes seules si elles sont mariées, si elles ont des enfants, si elles voyagent seules, si elles fument et boivent.
Grossièrement le local est donc pour beaucoup de touristes un pauvre, forcément intéressé, qui n'hésitera pas à mentir pour servir sa cause et celle de sa communauté.
Pour illustrer le fossé culturel : je me suis retrouvée à devoir répondre à des questions de Namal sur le comportement de femmes ultra-libèrées... Son réçit de harcèlement par une touriste russe d'une soixantaine d'année pourrait être drôle mais il est surtout affligeant, je me suis sentie obligée de m'excuser. Il a été le chauffeur de cette dame quelques jours et s'est retrouvé séquestré dans sa chambre, avec comme prétexte un besoin de protection contre les voleurs d'argent et de passeport. Longue nuit à jouer au chat et à la souris. Il redoute d'avoir un jour des soucis avec la police pour un motif inventé.
Bref, le cliché étant posé, mon objectif est donc de sortir de ce schéma touristique, au delà des apparences. La rencontre relève beaucoup de la chance, puis de l'intuition, mais je commence à affiner ma technique :
- le seul langage universel, le sourire (bien que mes protecteurs Sri Lankais me disent trop souriante)
- la politesse (respecter les codes vestimentaires féminins, les sites sacrés et leurs rituels...)
- la langue du pays, quelques mots suffisent à surprendre
- manger avec ma main, et non avec des couverts, peu de voyageurs le font
A cela il faut ajouter patience et énergie ce qui peut parfois faire défaut, notamment les jours où l'on enchaîne les "mauvaises rencontres".
Je dois donc me dissocier du touriste classique pour renconter les Sri Lankais ouverts au monde, et la plupart le sont. Les plus anciens peuvent parfois être fermés car le passé colonial est ici intense : Portugais, Hollandais, Britanniques, sont successivement venus fragiliser l'identité Cinghalaise et piller les sites sacrés. Pour beaucoup il est impossible de voyager, ainsi nouer des liens avec les touristes est une façon de pouvoir le faire. La connaissance des langues et de la vie politique des pays étrangers illustre cette curiosité que l'on n'a parfois pas nous-même pour notre propre pays.
GUEST HOUSE GERMANO SRI-LANKAISE
Comité d'accueil décontracté.
Un tuk-tuk, fan de Bob Marley et à la coiffure très stylée, m'emmène facilement à la bonne adresse car la "german lady" qui tient les lieux est bien connue. J'arrive en pleine réparation de la toiture de tôle, suite au passage de signes excités.
Cristina est mariée à Acéla depuis 3 ans. Ils me racontent que leur mariage n'est pas reconnu en Allemagne car cela nécessite une traduction des papiers officiels par des traducteurs assermentés, ce qui représente un important budget pour eux.
Acėla ne connaît pas l'Allemagne pour des raisons de visa. Difficile de voyager pour les Sri Lankais au delà de l'Inde de la Thaïlande et de l'Indonésie. 90% des voyageurs à destination de l'Allemagne ne reviennent pas, la politique d'immigration est donc devenue sévère. Acėla doit passer un niveau d'allemand pour justifier d'une autonomie linguistique minimale (pas bien amorcée), justifier d'une situation économique suffisante au Sri Lanka... Et surtout présenter un dossier bon du premier coup, un premier refus étant une croix rouge sur un dossier et des complications pour les tentatives suivantes.
Cristina parle cingalais, mais ne peut pas le lire ou l'écrire ni comprendre le dialècte officiel de la télévision ou de la radio.
L'histoire dit qu'Acéla a un peu menti sur sa situation financière avant de se marier. Le couple n'est pas propriétaire de la petite guest house mais la loue au restaurant voisin.
ROYAL ROCK TEMPLE
Petite ascension pour rejoindre l'entrée située au pied de la roche sacrée. L'histoire des grottes en tant que lieu de culte remontrait au 1er siècle av. JC. Le roi Valagambahu les aurait fait sculpter après s'y être réfugié un temps... 5 temples troglodytiques regroupent 150 Bouddha.
Le long des marches menant au temple, grande proximité avec les singes peu farouches.
Achat d'offrande en cours d'ascension, fleurs de lotus.
Je fais une ascension matinale avec un groupe de Sri Lankais (avant le flot des touristes) et je sympathise avec plusieurs personnes, ils sont une 15aine de collègues à faire un pélerinage dans les sites sacrés, 3 jours en bus.
Ils m'invitent à me joindre à eux, j'accepte pour la journée, mais finalement je décline car leur rythme de visite ( et je devrais plutôt dire prière) est express et le site vaut la peine de s'y attarder.
Le prix d'entrée pour les touristes est de 4.000 roupies soit environ 25 euros, contre 50 roupies pour les Sri Lankais.
Gardiens de chaussures.
Bracelet et bénédiction.
Visite des 5 grottes et découverte des statues et peintures épousant le relief naturel et irrégulier des parois.
JOURNÉE DE LA RENCONTRE
En sortant du temple je discute avec quelques guides qui me disent qu'il n'est pas possible de monter au sommet de la roche des temples, c'est pourtant tentant. Un d'eux me laisse ses coordonnées à Colombo, je crois qu'il envisage à travers moi une solution baby-sitting puisque je lui ai expliqué que je souhaitais peut-être faire du bénévolat... Affaire à suivre, les guides sont ceux qui font le plus gros business touristique, je ne suis donc pas sûre de ses motivations.
Plus bas dans les escaliers quelques vendeurs de "boîtes à secret / boîte à malice". Parmi eux je rencontre Senaka. Il n'insite pas pour me vendre une boîte mais me challenge pour essayer de trouver le système d'ouverture et prend le temps de discuter. Comme je reste trois mois au Sri Lanka il ne me considère pas comme une touriste. Je lui demande si l'on peut monter au sommet de la roche sacrée pour vérifier mon information, il répond que oui mais que rares sont ceux qui le font, uniquement quelques personnes s'y rendent pour méditer, il en fait partie.
Il me donne sa carte, précise qu'il n'est pas guide, et me dit de l'appeler pour confirmer et ainsi expérimenter, là haut, avec ses conseils, la méditation au coucher du soleil. Il annonce qu'il amènera des fruits, et accepte que je me charge de l'eau.
Annoncer un service gratuit est une technique commerciale, car certains demandent ensuite de l'argent avec une idée très précise du montant attendu. On ne sait donc jamais quel genre de relation on enclenche vraiment.
A ce stade aucun des deux n'est sûr de l'intention de l'autre...
Chemin faisant je sympathise avec une petite famille venue au temple pour l'anniversiare de la jeune maman.
Puis chez Cristina, long échange avec son couple d'ami et leur petite fille pleine d'ėnergie. La têtée est possible à tout moment, sa mère m'explique qu'elle compte nourrir sa fille un sein jusqu'à l'âge de 2 ans et demi.
Lecture du Lonely Planet.
VIRÉE EN VÉLO
Avant de partir pédaler je reçois un message de mon ami grec Thanassis, rencontré à Kandy, il sait que je suis à Dambulla pour quelques jours et il m'annonce arriver le jour même. Je lui donne rdv plus tard pour monter au sommet de la roche avec Seneka. En attendant je ne suis pas au bout de mes surprises.
J'embarque sur une bicyclette fatiguée avec comme objectif de rejoindre le réservoir de Kandalama. Je ne passe pas inaperçue, je suis les indications au fur et à mesure, j'emprunte toutes sortes de chemins, ne suivant absolument pas ce que j'avais initialement envisager... Il me faudrait apprendre le mot lac en cingalais.
Je croise des écoliers qui rentrent chez eux, l'un d'eux me demande de l'argent ou des toffees, mais sans succès. Les habitudes touristiques faussent les choses...
Je trouve enfin le réservoir à proximité d'un drôle d'hotel, une surprise de taille m'attend : le bain de deux éléphants auquel on m'invite à me joindre.
Je pense d'abord faire intrusion dans l'intimité de la toilette d'un homme, avant de comprendre qu'ils sont plusieurs avec deux éléphants immergés, seule la trompe bougeant pour respirer.
J'hésite d'abord à rentrer dans l'eau, mais je suis vite confiante sur le terrain et la compagnie.
Je m'y essaye, et on me prend spontanément mon appareil photo. Ces éléphants appartiennent à l'hotel et ces hommes y travaillent, donc habitués aux touristes, mais pas un n'assiste à ce moment. Je suis privilégiée.
Je reprends mon vėlo et fais halte chez un petit marchand à qui j'avais annoncer repasser plus tard.
Il ne parle pas anglais, mais me fait comprendre qu'il souhaite que je le prenne en photo, il va d'abord enfiler sa chemise.
Son petit fils, adolescent, traduit quelques mots d'anglais, ses 4 copains ne le parlent pas mais observent.
On me donne une adresse écrite en cingalais, il me faudra la faire traduire pour pouvoir envoyer une photo qu'il souhaite accrocher au dessus de l'entrėe de sa cabane.
Il me prėpare un bétel à mâcher, sa petite fille timide observe à distance, elle aura droit à sa petite part de bétel.
Il m'offre boisson, banane, pois chiche.
On me présente toute la famille, avec les derniers nés.
Il m'explique qu'il a un problème de vue (ses yeux sont très clairs), il souhaite essayer mes lunettes et se voir en photo. La pose est sérieuse, et le fera beaucoup rire.
ASCENSION ET MEDITATION AVEC SENEKA
Les retrouvailles grecque et sri lankaise se font facilement.
Comme annoncé, Senaka arrive avec des fruits, et nous emmène vers des vestiges inconnus des touristes. Nous grimpons par l'ancien chemin du rock temple, où la vėgétation y a repris ses droits. C'est une balade de privilégiés.
Le chemin est bien plus beau que le nouveau emprunté par les visiteurs.
Marches taillėes dans la roche.
Sigiriya au loin, roche omniprésente.
Senaka notre bienveillant maître de méditation.
Retour nocturne, après un très beau moment d'échange, et un exercice de méditation mené par Senaka. Thanassis relève que son prénom vient de Sénèque, et qu'il le porte à merveille, avec philosophie.
Même de nuit Senaka sait nous alerter sur les endroits où se trouvent les fourmis rouges. Il connaît sa roche par cœur car il y monte presque tous les jours, seul pour méditer.
Arrêt au temple avant de se séparer, Senaka prie et nous donne bėnédiction en déposant dans nos cheveux de la cire de coco issue des bougies offrandes.
SENAKA
LA belle rencontre de ce début de voyage.
Senaka n'est pas moine, mais il en a la sagesse et la générosité. Il vėnère l'univers, la vie, la nature et l'amour... et Bob Marley. Il prie et médite tous les jours pour la libération de son âme, pour s'améliorer et améliorer le monde par la bienveillance.
Il dit ne pas avoir le savoir, mais il connaît le bouddhisme et la méditation, l'ayurvéda, il lit les lignes des mains et des pieds, il parle plusieurs langues sans en connaître l'alphabet, il connaît les autres cultures et leurs politiques... Scolarisė jusqu'à 10 ans seulement, il rêve d'apprendre un jour l'alphabet latin, pour cela il soutient les études et son neveu et espère qu'un jour il lui enseignera à son tour.
Dans son adolescence il a rencontrė un moine qui l'a guidé pendant des années, il est aujourd'hui décèdé, tout comme sa mère.
Il mène une vie simple et y tient.
Il partage tout ce qu'il a et n'accepte jamais d'argent en dehors de son business de boîtes à malice. Il distribue régulièrement de la nourriture à des familles pauvres dont il est bien connu. Il partage aussi ses repas avec les chiens errants. Il n'écrase pas les moustiques qui le piquent mais leur souffle dessus pour les presser un peu. Il fait des massages ayurvédiques aux personnes âgėes en souffrance...
On lui dit souvent qu'il est un homme bon, on écoute sa parole et l'on vient chercher ses conseils. Il sait qu'on profite aussi un peu de lui mais ça lui convient comme ça. On lui demande souvent de l'argent et il ne refuse jamais, tant qu'il en a.
Aîné de sa famille il ne souhaite pas hériter de la maison de son père. Il l'a construite en partie mais il la laissera volontier à son frère. A sa propre mort il souhaite être incinèré et donner aux animaux de la jungle.
Il raconte qu'il a eu de très grosses et longues dreadlocks qui lui vallaient un grand succès auprès des touristes femmes, mais surtout la jalousie des autres vendeurs. Il les a coupé pour ne plus être importuné par la police, et a du le faire seul car le coiffeur refusait de couper de si jolies dreadlocks.
Il admire Bob Marley et sa parole, mais il n'abuse de rien. Il mange peu, boit peu, n'aime pas l'alcool et fume rarement. Il ne va jamais aux fêtes mais préfère méditer car il n'aime pas voir la parole et les gestes des hommes déformés par l'alcool (l'arrack, alcool de noix de coco).
Certains vendeurs et tuk-tuk mentent à son sujet afin d'influencer certains touristes et de récupèrer du business.
Il a un jour recueilli chez lui un touriste rastafarai en détresse car dépouillé de toutes ses affaires. Par sagesse et bienveillance il lui a expliqué qu'il fallait qu'il se brosse les dents tous les jours, que cela n'avait rien à voir avec son idėologie mais plutôt avec le bien-être communautaire. Il ira donc lui acheter dentifrice et brosse à dents.
Voilà un peu de ce personnage qui va m'accompagner pendant trois jours au cœur des cités et sites sacrés, une vraie chance !
Les lignes de mes mains, pieds et de mon front, lui rélèvent mon karma et quelques informations sur qui je suis. Mon pied gauche lui dit que "hooo j'ai beaucoup trop travaillé", et ma main droite que je ne supporte pas la nourriture grasse (ce dont il va spontanément tenir compte lors des commandes des repas que l'on partagera...) et plein d'autres choses personnelles et surprenantes.
Il négocie des tarifs locaux et veut tout payer, je glisse discrètement des billets dans son portefeuille lorsque je devine qu'il se vide trop, et ça marche bien comme ça.
Je suis sous protection, régulièrement bénie lors des visites sacrées, et j'ai deux nouveaux bracelets protecteurs à mon poignet dont le collier que son ami moine lui avait donné, ramené de Thaïlande.
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